Morituri, Yasmina Khadra
Ceux qui vont mourir, ce sont ceux qui continuent, la peur au ventre, à faire leur boulot: boulot de flics, boulot d'intellectuels, boulot de comiques... Ceux qui résistent simplement en ne pliant pas. A ceux qui croient lire un polar, Yasmina Khadra offre l'excuse d'une enquête ultra-classique: la recherche d'une femme jeune, belle et disparue. Et l'on pense aux romans fondateurs du genre, aux enquêtes des privés américains. Mais comme d'autres trainent leur gueule cabossée dans les bas-fonds de la société américaine, le commissaire Llob ausculte sa ville, Alger, dans un pays qui étouffe dans la peur, le sang, et les intérêts cyniques et meurtriers de ceux qui veulent tirer profit de la violence et du chaos.
Texte travaillé jusqu'à l'os, répliques déclamées comme des discours, humour trivial et grinçant: la forme, brillante, sert un fond d'une rare violence. Khadra ne se contente pas de dénoncer la mafia politico-financière qui se sert du terrorisme islamiste pour prendre le pays à la gorge. Il met en cause les règles tacites du bien et du mal, renonce à la morale et fait bouger les lignes qui distinguent les bons des méchants.
Difficile d'avoir une opinion tranchée sur ce roman terriblement dur. L'admiration, pour le talent, et le courage. La gratitude, pour le témoignage. Et un gros sentiment de malaise, pour cette violence écoeurante que l'auteur nous renvoie en pleine figure, pour justifier le déséquilibre des forces.