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ekwerkwe's nest
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12 juin 2007

Quartier lointain, Jirô Taniguchi

blog___quartier_1J'ai longtemps résisté. Le dessin de la couv, légèrement raide et beaucoup trop sobre ne m'attirait pas. Certes la BD avait gagné le prix Angoulême du meilleur scénario 2003, et le prix "Canal BD" des librairies spécialisées. Du coup, cette année-là, chaque fois que j'allais chez mon bédéquiniste chéri, j'en repartais avec le sac en plastique "quartier lointain". Certes. Et je n'entendais que des avis élogieux. Mais toujours pas. Jusqu'à ce que je lise il y a peu (mais sur quel blog était-ce donc??) que l'histoire ne racontait pas l'histoire d'un jeune garçon mais le retour dans le passé d'un homme adulte. Un retour dans sa peau d'adolescent. C'était donc un manga de science-fiction? Voilà qui changeait tout! En fait, il suffit de savoir me parler...

blog___quartier_2Hiroshi a 48 ans, une vie moyennement intéressante de cadre alcoolique, une femme et des filles dont il ne sait finalement plus rien. Par un concours de circonstances digne des meilleurs prétextes fantastiques, il se retrouve dans la peau de l'Hiroshi qu'il était à 14 ans, mais avec toute son expérience et ses souvenirs de quinquagénaire. Ce qui est bien utile à l'école, et avec les filles. Mais l'année de ses 14 ans, c'est aussi celle où son père est parti, a quitté sa famille et n'a plus jamais donné de nouvelles. Un temps en équilibre fragile donc, entre l'ivresse de la jeunesse retrouvée, et l'angoisse des drames à venir - drames qu'Hiroshi cherche à éviter, puisque le passé se modifie à mesure qu'il le revit.

Attention, cette critique est bourrée de spoils!
Ne lisez pas plus loin si vous avez l'intention de lire ce manga!

blog___quartier_6Pour une fois, je laisserai tranquille le problème du paradoxe temporel, même si je trouve que la technique du "ici ce n'est pas paradoxal" est une solution de facilité peu digne. Mais Quartier lointain est un faux manga de SF, donc passons. Par contre, soulever le fait qu'Hiroshi change le passé, mais lui faire retrouver un présent intact n'est pas admissible, SF ou pas. C'est là une question de cohérence interne. C'est d'autant plus rageant que la fin, en faisant officiellement d'Hiroshi un "voyageur du temps", boucle la boucle temporelle. Quand j'étais môme, j'avais lu une histoire toute pleine d'interventions dans le passé (deux gamins qui y faisaient les 400 coups), et la conclusion c'était que l'Histoire avait "digéré" leurs interventions. Ca m'avait interpellée, déjà à l'époque (la preuve, je m'en souviens). Sauf que je ne suis plus môme, et que Taniguchi n'écrit pas pour les enfants. Donc là, il y a quand même abus manifeste.

blog___quartier_4Mais le défaut majeur, à mon avis, c'est la cohérence psychologique. Que tous les personnages trouvent Hiroshi un peu bizarre et franchement mature, du jour au lendemain, bon, disons que c'est normal. Qu'Hiroshi n'arrive pas à tenir sa langue ("Dans un an, il va se passer ceci et cela", etc.), c'est énervant, mais compréhensible. Qu'à 48 ans, il tombe amoureux d'une gamine de 14 ans, simplement parce qu'il a retrouvé un corps de 14 ans, ça n'est pas crédible. Je ne parle pas là de "politiquement correct", mais de vraisemblance psychologique. L'écart est trop grand, les expériences trop dissemblables. Enfin, il me semble. Et le malaise que devrait logiquement ressentir Hiroshi, adulte coincé dans un corps d'enfant, est complètement passé à la trappe. Il s'interroge bien un (tout) petit peu sur son avenir, mais globalement, il est plutôt ravi de retrouver un corps jeune, léger, en bonne santé, et ne souffre pas du décalage qui existe, de fait, avec ses amis. 

blog___quartier_8Quant au dessin... tout est sur la couverture. Je n'ai rien contre l'épure, mais là, tant de vides, ça manque de champ, de profondeur, et au bout du compte ça sent (un peu) la facilité. Les décors dessinés à la règle, ça manque de vie à mon goût. Et puis les visages sont peu expressifs, les corps guindés. Et je n'ai pas l'impression que ce soit volontaire, porteur de sens. Bref, j'ai trouvé ça fade: le dessin laisse tout reposer sur l'histoire, au lieu de la souligner, de l'approfondir. Bref, je comprend qu'il n'ait eu "que" le prix du scénario à Angoulême.

blog___quartier_3Est-ce à dire que ce manga n'a pas de qualités? Point du tout! D'abord, c'est un two-shots. Et les deux parties sont agencées assez intelligemment, de façon cohérente par rapport au rythme du récit. Donc déjà un gros bon point. Ensuite l'histoire, très très littéraire, repose en fait sur un ressort purement psychologique, voire freudien (et pas du tout fantastique). Elle est plutôt bien menée, un chouia moralisatrice mais intéressante. Le retour dans le passé ne modifie pas, fondamentalement, le passé (le départ du père d'Hiroshi), mais lui permet de mieux analyser son présent d'homme de 48 ans, ses relations avec sa famille (sa femme et ses filles), et ce n'est que quand il a compris, en adulte, les choix de son père, qu'il est capable de faire les siens, et donc de retrouver sa vie, là où il l'avait laissée - sauf qu'il est devenu un homme bien meilleur entre-temps (je disais bien que ça avait un petit côté moralisateur).

Globalement, je n'ai pas sauté au plafond. Mais c'est aussi, en grande partie, parce que j'attendais davantage de ce manga. Et comme d'habitude, j'ai la dent beaucoup plus dure avec les ex-futurs romans chéris qui m'ont déçue qu'avec les daubes gentillettes que je lis en toute connaissance de cause...

blog___quartier_5

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Commentaires
E
@ Malaurie<br /> Merci à toi pour ce commentaire très détaillé!<br /> <br /> A propos du dessin: je ne savais pas qu'il avait eu un prix à Angoulême, et d'ailleurs je ne connais pas "Le sommet des Dieux", mais j'ai feuilleté "Le journal de mon père" à la librairie, et je trouve que tu as raison, il ne se renouvelle pas énormément. Ca ne me gêne pas, par exemple, chez Tardi (que j'adore quoi qu'il fasse), mais chez un mangaka que j'aime moins, c'est déjà plus ennuyeux! Quant aux décors, je vais être très dure, mais je trouve que ceux de "Quartier lointain" sont ternes et peu inspirés - je pense surtout à ses décors urbains, les autres ne m'ont pas marquée. Tiens, la BD n'a rien à voir, mais je trouve ses décors fabuleux, comme pensés par un architecte, et pour tout dire habités: que penses-tu de la série "Horologium", de Fabrice Lebeault?<br /> <br /> Sur l'aspect science-fictionnesque de "Quartier lointain", je le dis vaguement dans mon billet, et je m'en expliquais un peu plus haut avec fashionvictim (commentaires 1 et 2), c'était un malentendu de ma part. Ceci dit, on ne peut avoir le beurre et la crémière: revendiquer le voyage dans le temps mais s'affranchir de la plus élémentaire cohérence sous prétexte que le ressort de l'histoire est psychologique (même si celui-ci est bien vu). J'aime trop la bonne SF pour accepter ça! Pour l'instant j'ai d'autres priorités d'achat, mais à l'occasion je me procurerai "Icare" et "Le chien Blanco" - et d'ailleurs, merci pour ces pistes...
M
Génial ce billet !!!<br /> Je ne partage pas du tout cette analyse, mais elle a le mérite de donner un point de vue original. Merci.<br /> <br /> Une point qui me gêne un peu c'est ta critique sur le dessin. Vrai, il n'a eu que le prix du scénario avec ce livre, mais il a obtenu depuis le prix du dessin (à Angoulême aussi) pour sa série "Le sommet des dieux". Et pourtant... j'emets aussi des réserves : sur sa façon de dessiner les personnages, un style en rupture avec les codes du manga, mais un style trop figé à mon goût, du coup d'une série à l'autre ces héros se ressemble tous. C'est parfois navrant, par contre ces décors sont à mon goût somptueux.<br /> Quartier lointain, de la SF ? étrange mais pourquoi pas. Moi, j'y ai lu plutôt l'aspect psychologique de l'absence d'un père, du départ et des ravages du manque. Ensuite ce n'est qu'une histoire de fiction (pas du tout scientifique), donc liberté absolue de jouer avec les codes et peu importe s'il y a incohérence. Ce qui importe c'est que le message et l'ambiance passent. Ce fut le cas lors de ma lecture.<br /> Si tu veux lire Taniguchi en SF, tu as le choix entre "Icare" (au scénario, c'est Moebius, à lire, mais je serais intéressé par tes commentaires, car le livre est controversé) ou alors "Le chien Blanco" histoire de manipulations génétiques et intrigues géopolitiques (franchement intéressant et plus ancien).<br /> Bien, je vais continuer ma balade sur ton blog et je te dis : "à bientôt"
E
@ Sansev': Oulala! la mémoire, mais il n'y a pas que la tienne qui soit très très sélective, tu sais! Ne t'en fais pas!<br /> <br /> @ Cocje: j'ai quand même l'intention de lire d'autres oeuvres de Taniguchi, à l'occasion. En faisant mes recherches pour trouver des illustrations, je suis tombée sur des planches d'autres mangas qui m'ont parues plus intéressantes. Je ne renonce pas encore!<br /> <br /> @ InFolio: oui, c'est bien possible que ce soit chez toi (j'y vais souvent, faut dire!). Et j'avais toujours entendu dire beaucoup de bien de ce manga, même par des amateurs très très pointus. Donc ne culpabilise pas, de toutes façons je ne regrette pas de l'avoir lu! Et sagement, je l'avais emprunté à la bili...<br /> <br /> @ florinette: ah ben voilà! maintenant tu vas devoir attendre au moins un mois ou deux, pour oublier ce que j'ai bien pu raconter et ne pas gâcher ton plaisir! Bon, je suis quand même contente que ça ne te décourage pas!
I
je crains que ce soit chez moi que tu as lui qu'il s'agit d'un retour vers le passé. Désolée de t'avoir fait rêver et espérer mieux. <br /> Personnellement, j'avais bien aimé cette lecture. Mais il est vrai que je suis moins pointue que toi quant à la SF et ses codes.
F
Je ne l'ai toujours pas lu, mais je compte bien le faire et de plus en plus après tout ce que tu viens d'énumérer sur ce manga, ben oui je n'ai pas résisté et ma curiosité m'a poussée à lire ton article dans sa totalité ! ;-)
ekwerkwe's nest
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